Euthanasie au pays des droits de l’homme

La pudibonderie politique française face à la question de l’euthanasie est affligeante. Notre pays complexé n’a toujours pas légiféré clairement sur le sujet, alors que ceux du Benelux l’ont fait afin de dissiper les réticences morales qui règnent autour de cette question. A chaque fois que la mort est en question, la religiosité de l’état français transpire et le fait trop souvent abdiquer, alors que si le sujet concerne la vie du contribuable, il s’autorise – comme un génie – l’usage de nombreux stratagèmes pour venir à ses fins.

L’Interruption Volontaire de Grossesse est l’une des grandes dernières questions de ce genre qui a finalement été traitée. Même si les religions se sont immiscées dans le débat qui aurait dû rester laïc, même si les conservatistes politiques bourgeois ne voulaient pas se salir les mains, et même si le corps médical était l’un des premiers à refouler la question ; la loi sur l’IVG est passée, le serment d’Hippocrate a été adapté et les mentalités ont changé. Maintenant, le droit à l’interruption volontaire de grossesse représente, pour chaque femme, majeure ou mineure, un droit inaliénable à disposer de son corps.

Qu’en est-il de l’euthanasie en France ? Officiellement, euthanasier ou faire euthanasier l’un de ses proches est toujours considéré comme un homicide. Mais dans les faits, les surdoses de morphine existent, des cocktails lytiques sont administrés sous couvert de traitement ultime, ou de soins palliatifs. Quand le constat est sans appel et que les moyens existent pour abréger les souffrances insupportables du malade, les souffrances indirectes de la famille et celles du personnel soignant : l’humanité prend le dessus et les actions s’opèrent, néanmoins elles restent sous silence comme des pratiques interdites.

Image flottante


Un des problèmes élémentaires à surmonter concerne la signification qu’on attribue au mot « euthanasie ». La première définition est celle qui caractérise une mort douce et sans souffrance, naturelle, ou grâce à une thérapeutique. La deuxième définit l’acte délibéré de donner la mort à un malade. Cette dernière définition devrait être oubliée pour donner à la première tout son sens. L’euthanasie des animaux domestiques en fin de vie ne choque personne, or ne répond-elle pas à une mort douce et sans souffrance grâce à une thérapeutique ?


Suivant une autre approche, l’euthanasie ne doit plus être considérée comme un suicide assisté, mais comme l’aboutissement d’une vie. Un être qui aime la vie et qui s’est résolu à la révolte qui en découle – comme l’a admirablement traité Albert Camus dans Le mythe de Sisyphe – peut se sentir dans une impasse lorsque le corps est enseveli par la souffrance, lorsque la maladie devient intolérable et irréversible. L’ultime révolte est alors de ne pas subir la condamnation, mais de la sublimer en devenant maître de sa mort par un non préféré à son reliquat de vie morbide.

Tout ceci pour en venir au fait que l’euthanasie ne doit plus être taboue en France, que des mesures doivent être prises pour qu’enfin la liberté de pouvoir disposer du matériel médical nécessaire à une mort douce et sans souffrance ne demeure pas un supplice de Tantale. C’est aux politiques de donner le cadre qui répondra à la volonté de ceux qui ont atteint la limite du supportable. Ce cadre à inventer devra tenir compte du testament du malade, d’un avis médical, d’une concertation familiale, des rôles et des moyens. Il ne s’agit pas de faire n’importe quoi, d’obliger le médecin de devenir malgré lui le bourreau de son patient. Il s’agit essentiellement de rendre la mort plus douce, que l’acte d’assistance à franchir le passage ne soit plus un crime et que la liberté de satisfaire sa dernière volonté n’est pas de frontières.


RETOUR

Le 11 mars 2010

Arnaud Gainville

Bibliographie : Le mythe de Sisyphe, Albert Camus ; Bartleby, Herman Melville